Café Joyeux 9e à Saint-Malo ! (+ on fait quoi maintenant?)
Il nous aura fallu 16 jours pour rallier Saint Malo depuis Québec, où nous avons coupé la ligne d'arrivée en 9e position, 1h30 seulement après les premiers ! Je vous raconte tout ⬇️
Aux plus pressés d’entre vous je vous partage les 5 choses à retenir de cette course :
On a vu du pays ! Ce fut un voyage incroyable, avec des paysages magnifiques notamment dans le Saint Laurent, des baleines, des bélugas, les bancs de brume de Terre Neuve… On a eu droit à tout !
On a très bien navigué au début et sur la fin (on double 4 bateaux le dernier jour)
Au milieu, on s’est un peu trompé de route - et ce fut notre plus grosse erreur
On a bien rigolé tout du long :)
Il est possible d’avoir des discussions entières exclusivement à base de répliques de 3 films : Mission Cléopâtre, Les Visiteurs et Taxi.
Pour ceux qui souhaitent avoir la version longue, c’est ci-dessous ! ⬇️
Un début de course sans relâche jusqu’à Terre Neuve
On s’en méfiait, et on a eu bien raison. Le Saint Laurent nous en fait voir de toutes les couleurs ! Les premiers jours de course ont été sans relâche. Beaucoup de transitions de voiles (notamment spi / gennaker), des grains parfois très violents, des courants imprévisibles, des situations inexpliquées où 2 bateaux ont un vent très différent à quelques dizaines de mètres près. Ca n’en finissait jamais !
Rétrospectivement, on n’a toujours pas compris tout ce qui s’est passé dans le fleuve. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la sortie du Saint Laurent au 3e jour fut un réel soulagement pour tout le monde.
Outre la météo capricieuse, je garderai le souvenir d’un terrain de jeu vraiment magique. Les paysages étaient sublimes. On a vu des bélugas, des globicéphales et beaucoup de dauphins - et c’est assez chouette de toujours voir la terre au bout de 3 jours de course. Ca change !
Même sortis du fleuve de Saint Laurent, ça n’allait pas être le grand large tout de suite. Trois jours plus tard, nous passons tout près des îles de Saint Pierre et de Miquelon - mais sans les apercevoir. Et pour cause : nous naviguons dans un épais brouillard à couper au couteau ! Nous sommes alors au coude à coude en toute tête de flotte, en 2e position.
Le grand rationnement
Jusque là tout allait bien ! Ou presque, car en préparant l’avitaillement nous avions tablé sur 14 jours de nourriture. Et au 7e jour de course nous n’avions toujours pas passé Terre Neuve !
Nous prenons donc la décision très difficile de rationner la nourriture à 2 plats lyophilisés par jour et par personne, soit environ 1200 calories journalières. Et ça, quand on s’appelle Léo Debiesse, c’est très dur. Car les Haribos, eux aussi, étaient comptés.
Par la même occasion, berné par son air innocent, je nommais Cécile gardienne des réserves de chocolat. Elle déclara qu’on aurait chacun droit à 2 triangles sur les 4 barres de Toblerone restantes. Ce n’est qu’au bout de quelques jours que je découvrais la supercherie. Il n’y a pas 8 mais 11 triangles sur une barre de Toblerone ! Cécile n’a jamais reconnu les faits et n’a jamais avoué ce qu’étaient devenus les triangles supplémentaires. Je pense qu’elle protégeait ses complices (c’est-à-dire Léo).
Un choix cornélien au 7e jour
Au 7e jour de course, on quittait enfin le continent américain. Mais impossible de décider par quelle face attaquer l’océan qui s’étendait devant nous !
Imaginez vous sur le quai de la gare de Lorient. Vous souhaitez aller voir les épreuves de natation synchronisée des JO à Paris (exemple d’actualité, ça commence demain). D’un côté, vous avez le TGV sans arrêt pour Paris, en panne. Vous ne savez pas à quelle heure il va partir. De l’autre, vous avez un TER qui part à l’heure et tout de suite, mais il s’arrête à Rennes. Dans quel train montez vous ?
Je prends un autre exemple pour nos amis parisiens. Vous êtes en voiture porte de Clignancourt et vous devez vous rendre porte d’Orléans. Vous devez choisir entre le périphérique intérieur et extérieur. Waze vous dit de prendre à gauche et Google Maps à droite. Les 2 donnent un temps de trajet égal. Au milieu, c’est Paris en plein Jeux Olympiques donc on oublie la traversée en ligne droite. La moitié de vos concurrents part à gauche, et l’autre moitié à droite. Que faites-vous ?
Je vous donne la réponse tout de suite et après j’explique. En bateau, en l’absence de certitudes, il faut à chaque instant maximiser la vitesse de rapprochement vers l’objectif. Concrètement, si on suit cette logique, à la porte de Clignancourt il faut s’engager sur le périphérique qui semble rouler le mieux sur les premières centaines de mètres. Ensuite, on verra. A Lorient, cette règle voudrait qu’on saute dans le premier train qui part (le TER). A Rennes, on verra bien !
Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on a fait. On a voulu appliquer un schéma météo à long terme alors qu’il fallait, en l’absence de certitudes, basculer en mode dégradé et maximiser le gain à court terme.
Je vous explique le lien avec la choucroute :
A la sortie du Saint Laurent, il y avait globalement 2 options.
(l’option TER) Partir au Sud à toute vitesse pour tenter d’accrocher une dépression secondaire qui nous amenait jusqu’au milieu de l’Atlantique mais probablement pas jusqu'en Europe. L’avantage, c’est que ça partait pleine balle vers l’arrivée pendant au moins 4 jours dans des vents portants soutenus. En revanche, les trajectoires des dépressions secondaires sont très incertaines (en vitesse de déplacement et en direction). C’était donc risqué : si jamais le train déviait, ralentissait, ou s’arrêtait au milieu il n’y aurait peut-être pas de solution rapide pour rallier la maison.
(l’option TGV en panne) Se placer au mieux pour le phénomène qui allait de toute évidence ramener tout le monde à la maison : une grande dépression en formation dans le Nord dont un front allait finir, un jour, par balayer tout l’Atlantique d’Ouest en Est. En clair : laisser partir le TER mais s’installer confortablement en première classe tout près du wagon bar et du stock de cakes citron pavot.
Pour nous aider dans ces choix nous avons des algorithmes de routage, qui, en fonction des prévisions météos et des performances du bateau calculent la route optimale.
Ce qui nous a bien compliqué la tâche, c’est qu’en l’espace de 2 jours il y a eu 2 retournements de situation dans les prévisions météo.
D’abord c’était les routes sud qui étaient données gagnantes. Et tant mieux, car nous nous étions volontairement décalés au Sud de la flotte. On part donc en premier lieu sur cette option.
Douze heures plus tard, changement complet de scenario : les routes sud ne passent plus du tout (mais alors, pas du tout). On prend la décision assez courageuse de faire presque demi-tour pour partir sur l’option Nord, en misant sur le long terme, à savoir le placement pour le front lié à la grande dépression. On se retrouve loin derrière des bateaux que nous avions réussi à distancer dans le Sud de Terre Neuve. Coup dur !
Le lendemain, nouveau changement radical dans les prévisions : les routes Sud passaient de nouveau. On a décidé de poursuivre tout de même au Nord, assez confiants sur l’évolution à long terme de la météo, en se disant que ça allait encore changer beaucoup dans les jours suivants, et qu’à un moment donné, il fallait bien choisir son camp.
Finalement, on a été plutôt clairvoyants sur l’évolution à long terme de la météo, car c’est effectivement le grand front que nous sommes allés chercher qui a poussé tout le monde jusqu’à la maison. Mais notre stratégie n’a pas payé.
Pour reprendre l’image des trains : le TGV a bien rattrapé le TER, mais ils roulaient sur les mêmes rails. Le TGV n’a jamais pu doubler le TER. On est donc arrivés presque en même temps (1h30 à l’échelle de l’Atlantique c’est environ 4 minutes sur un train Paris - Lorient), mais sans pouvoir doubler les copains partis au Sud.
Fait suffisamment agréable pour le noter : dans cette option Nord nous avons été plutôt bien lotis. Les conditions ont été très clémentes tout du long si bien que nous n’avons pas pris un ris de toute la traversée !
Finish d’anthologie
Pendant les 3 derniers jours de course, la flotte s’est considérablement resserrée. Les sudistes stagnaient, et nous réduisions l’écart à toute vitesse. A l’arrivée sur les côtes françaises, on captait presque tout le monde à l’AIS (ondes radio courte portée sur lesquelles tous les bateaux émettent obligatoirement leur position).
Grâce à une superbe stratégie élaborée par Tanguy, on fait une trace presque parfaite sur les 36 dernières heures de course le long des côtes nord bretonnes. Nous doublons successivement Crédit Mutuel, Everial, Pierreval et Dékuple, qui finit cent petit mètres derrière nous ! De la 12e place nous nous hissons donc dans le Top 10, en 9e position. C’est chouette car ça permet de finir sur une bonne note !
La fin d’un cycle de 4 ans en Class40
Amarrer le bateau à Saint Malo (puis, depuis à Lorient) est un grand soulagement pour moi. L’arrivée de la Québec Saint Malo marque la fin d’un cycle de 4 ans pour moi en Class40 ! Et que de chemin parcouru !
A la même date en 2021, j’attaquais la dernière ligne droite avant la mise à l’eau de mon premier Class40. Je n’avais presque aucune expérience sur le circuit. Le bateau me paraissait énorme et démesuré par rapport aux bateaux de 6.50m auxquels j’étais habitué jusque-là. Et pour cause : c’est 2 fois plus long, 5 fois plus lourd et 10 fois plus puissant (le “levier” qui maintient le bateau à plat malgré la force du vent dans les voiles).
Au terme de la Transat Jacques Vabre 2021 (qui se coure en double), j’avais commencé à apprivoiser la machine. Néanmoins, je me sentais toujours bien incapable de naviguer en solitaire. Les manœuvres sur la plage avant me paraissaient très engagées dans le vent soutenu et la mer formée. Au niveau physique, même pour un “gros” comme moi, les bateaux sont vraiment très physiques. Il a bien fallu s’habituer à la machine, car 12 mois plus tard je bouclais la Route du Rhum 2022 tout seul, comme un grand (avec une cheville cassée quand même, CQFD).
En 2023, grâce au changement de monture (mais pas que) j’ai franchi un cap en termes de performance. Alors que je stagnais aux portes du Top 10 jusque-là, nous avons fini l’ensemble des courses dans le Top 4 (à l’exception de la Transat Jacques Vabre). “On va finir par croire que c’est mon métier” disais-je souvent 🙃.
Cette année, c’est sur le plan psychologique que j’ai eu l’impression de franchir un cap. La Transat CIC, la course la plus dure à laquelle j’ai participé (et de loin), a été pour moi une vraie révélation. Caracoler en tête de flotte les 3 premiers jours, affronter les tempêtes de l’Atlantique Nord, gérer les casses matérielles du bateau, aller puiser loin dans ses ressources physiques et mentales : j’ai atteint un stade où je me sens à l’aise en solitaire sur mon bateau, peu importe les conditions. Et surtout, un stade où je rivalise avec mes adversaires les plus redoutables ! Cette Québec Saint Malo, qui constituait un retour à la maison, on y allait vraiment pour le plaisir. C’était la cerise sur le gâteau, une célébration du chemin parcouru. Ce chemin, Léo et Tanguy y ont énormément contribué et cela m’a vraiment fait plaisir de faire ce dernier bout avec eux !
Du coup maintenant on fait quoi ?
Et bien en voilà une question intéressante. On est sur ce qu’on appelle … un moment de transition !
L’avantage des années Vendée Globe quand on n’y participe pas, c’est qu’il n’y a pas de transatlantique à l’automne. J’ai donc une période de plusieurs mois devant moi sans course à préparer : c’est le créneau parfait pour préparer sereinement la suite ! Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait pour le bateau Café Joyeux mais croyez moi je vais vite plancher là-dessus.
Mais avant cela, une vraie pause estivale s’impose. Depuis le départ de la Transat Jacques Vabre en octobre dernier, ça ne s’est pas vraiment arrêté pour moi. Je file donc dans les montagnes marier des copains, voir des bouquetins, apprendre à voler et gambader dans les alpages.
Je vous souhaite un JOYEUX été. Prenez soin de vous et de vos proches !
A bientôt,
Nico